LE GOUVERNEMENT SUISSE – CHEF DE FILE DE LA PROMOTION D’UNE SECURITE RESPONSABLE DANS LE MONDE

Nous nous sommes entretenus avec Rémy Friedmann, conseiller principal au bureau de la sécurité humaine et des affaires à la division de la sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères et président du conseil d’administration d’ICoCA, pour savoir pourquoi la Suisse mène des efforts pour élever les normes dans le secteur de la sécurité afin de garantir le respect des droits de l’homme et du droit humanitaire.

Pourquoi la Suisse joue-t-elle un rôle de premier plan dans la promotion d’une sécurité privée responsable dans le monde entier ?

La participation de la Suisse à l’amélioration des normes internationales et de la responsabilité des entreprises de sécurité privée découle de sa longue tradition humanitaire et de son engagement à promouvoir le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans tous les contextes à travers le monde.

Le Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées de 2008 et le Code de conduite international pour les prestataires de services de sécurité privés (le Code), lancé en 2010, sont un bon exemple de ce que la Suisse tente de promouvoir par sa politique étrangère. Une politique étrangère qui place les droits de l’homme et le droit international humanitaire parmi ses principales priorités, mais aussi une politique étrangère qui, en termes de réalisations concrètes, reste toujours pragmatique et axée sur les résultats.

En lançant ces initiatives, nous étions parfaitement conscients que le recours aux sociétés de sécurité privées (SSP) est une question politiquement très sensible. Par conséquent, nous avons consacré beaucoup de temps et d’efforts à expliquer que notre objectif n’était pas politique mais de nature strictement humanitaire. Il s’est avéré particulièrement important d’expliquer que notre intention n’était pas de légitimer ou de condamner cette entreprise particulière.

 

Quelles sont les principales mesures prises par le gouvernement suisse pour promouvoir une sécurité responsable ?

En 2006, la Suisse, en collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge, a lancé une initiative diplomatique qui a abouti deux ans plus tard à la finalisation et à l’adoption du « Document de Montreux » sur les obligations juridiques existantes des États concernant les activités des sociétés militaires et de sécurité privées. Ce processus a montré que les États n’opèrent pas dans un vide juridique en ce qui concerne les droits de l’homme et le droit humanitaire international lorsqu’ils font appel à des sociétés militaires et de sécurité privées (SMSP).

Le Document de Montreux a ensuite été traduit en un ensemble de principes et de normes fondés sur les droits de l’homme et le droit humanitaire international pour l’industrie de la sécurité privée, le Code, en 2010, élaboré dans le cadre d’un processus multipartite, impliquant l’industrie, la société civile et les gouvernements. Il s’est déroulé dans le contexte du cadre des Nations unies « Protéger, respecter et réparer » des entreprises et des droits de l’homme, par lequel le secteur de la sécurité privée a décidé d’assumer sa responsabilité de respecter les droits de l’homme. Pour cela, nous avons compté sur le soutien et l’expertise du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées de Genève (DCAF).

Après le lancement du code, les entreprises, les gouvernements et les organisations de la société civile (OSC) ont travaillé ensemble à la mise en place d’un mécanisme de gouvernance et de contrôle, prévu par le code. Ce mécanisme, l’Association internationale du code de conduite (ICoCA), a été lancé en 2013. Il est investi de diverses autorités et responsabilités, notamment la certification du respect du code par les entreprises membres, l’évaluation des performances et le suivi de leur travail sur le terrain, la rédaction de rapports et un processus de plainte pour traiter les violations présumées du code.

En 2015, une loi suisse, la loi fédérale sur les services de sécurité privée fournis à l’étranger, est entrée en vigueur.

Elle vise à contribuer à la sauvegarde de la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse, à la réalisation des objectifs de politique étrangère de la Suisse, à la préservation de la neutralité de la Suisse et au respect du droit international, en particulier des droits de l’homme et du droit international humanitaire. La loi s’applique aux entreprises qui fournissent des services de sécurité privée à l’étranger. Celles-ci ont l’obligation de déclarer les activités qu’elles entendent exercer. La loi interdit aux CSP basées en Suisse de participer directement à des hostilités à l’étranger et de fournir des services qui sont en relation avec de graves violations des droits de l’homme ou qui peuvent être utilisés pour commettre de telles violations. Elle établit également l’obligation pour les entreprises basées sur le territoire suisse et fournissant leurs services à l’étranger d’adhérer à ICoCA. En outre, la protection des ambassades suisses par les COPS dans les « environnements complexes » ne sera possible que si celles-ci ont adhéré au code.

 

Quel rôle le gouvernement suisse estime-t-il que ICoCA devrait jouer et pourquoi la certification est-elle importante ?

ICoCA devrait veiller à ce que les CSP qui se sont engagés à respecter les dispositions du code disposent des systèmes et des politiques nécessaires pour y parvenir, et qu’ils les respectent dans la pratique. C’est pourquoi nous considérons que ICoCA, avec son approche en trois volets – certification, contrôle et procédure de plainte -, offre à toutes les parties prenantes la meilleure garantie que les sociétés membres respectent des normes élevées fondées sur les droits de l’homme et le droit humanitaire international.

 

La certification ICoCA peut ne pas être facile à obtenir pour certaines entreprises qui sont actuellement membres d’ICoCA ou qui voudraient le devenir, que leur diriez-vous ?

Je leur dirais d’entreprendre les démarches nécessaires pour adhérer à ICoCA. À mesure que l’initiative se développe, la certification par le biais des normes reconnues d’ICoCA devient plus facilement accessible et l’investissement sera rentable. Ils pourraient également s’engager auprès de leurs clients pour travailler avec eux afin d’améliorer leur capacité à respecter ces normes. Dans le même temps, ICoCA a élaboré et promeut des orientations pour les CSP basées sur le code afin de les aider, par exemple, à mettre en place des mécanismes de réclamation ou à traiter des questions telles que l’exploitation et la violence sexuelles. Ces aides et d’autres encore peuvent contribuer à l’élaboration de politiques d’entreprise répondant aux exigences des normes.

 

Sept gouvernements sont actuellement membres de ICoCA. Comment encourager davantage d’États à s’asseoir à la table des négociations et que diriez-vous aux pays qui ne considèrent pas que c’est leur problème, par exemple les gouvernements qui ne peuvent pas faire appel à des services de sécurité privée ?

En participant à ICoCA, les gouvernements auront un siège à la table dans le cadre d’une initiative multipartite unique qui a déjà un impact. Même s’ils n’achètent pas directement des services de sécurité privée, les gouvernements sont confrontés à une industrie en pleine croissance qui a une empreinte mondiale.

S’ils achètent des services de sécurité privée, leur participation à ICoCA leur permettra d’exercer leur devoir d’État de protéger les droits de l’homme en favorisant une diligence raisonnable plus efficace, en facilitant le développement de bonnes pratiques et en garantissant la responsabilité des CSP.

Elle sera également compatible avec l’engagement des gouvernements à mettre en œuvre les principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme (UNGP) et leurs plans d’action nationaux respectifs, puisque le code est explicitement basé sur le cadre « Protéger, respecter et réparer » de l’UNGP. Il est également conforme à leur engagement dans les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme, une initiative visant à garantir le respect des droits de l’homme dans le cadre de la sécurité du secteur extractif, que la Suisse préside en 2019-2020. En adhérant à ICoCA, les gouvernements seraient en mesure de participer à la gouvernance d’une initiative qui aborde, prévient et atténue les risques en matière de droits de l’homme liés à la fourniture de sécurité privée. Ces risques sont très réels et concrets dans des contextes fragiles – urbains ou ruraux – dans différentes parties du monde, que ce soit en rapport avec l’acheminement de l’aide humanitaire, le développement, les activités militaires, l’exploitation des ressources naturelles ou d’autres activités économiques. S’ils ne sont pas traités correctement et de manière préventive, ces risques peuvent également avoir un impact sur la réputation d’un gouvernement. Le fait de travailler avec la société civile et les acteurs industriels responsables par l’intermédiaire de ICoCA démontre l’engagement en faveur du progrès des droits de l’homme universels.