COMPRENDRE LE PAYSAGE DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Afin d’avoir une meilleure perspective sur le spectre de la sécurité privée en République démocratique du Congo, nous avons invité Monsieur Honoré Katamba à répondre à quelques questions.

Monsieur Katamba est un expert en réforme du secteur de la sécurité, au sein de Securitas Congo, une organisation de la société civile, nouveau membre d’ICoCA.

 

1.Comment avez-vous entendu parler d’ICoCA pour la première fois ?

Nous avons entendu parler d’ICoCA à travers les différentes réunions et activités auxquelles nous avons participées dans le cadre de la mise en œuvre des activités d’un projet sur la bonne gouvernance de la sécurité privée en République démocratique du Congo (RDC), un projet piloté par DCAF Suisse.

 

2.Quelles sont vos attentes en tant que membre d’ICoCA ?

Nous souhaiterions voir notre participation à de différentes rencontres notamment les différentes réunions, formations et toutes autres activités qu’organise l’ICoCA dans le cadre de sa mission.  Nos attentes seraient également de recevoir des documentations nécessaires pour nous permettre d’accomplir notre travail sur terrain dans le domaine de surveillance des droits humains et surveillance des actions des entreprises de sécurité privée (ESP). En bref, nous souhaiterions recevoir d’avantage toute forme de soutien capable de nous permettre à mener des actions concrètes pour une bonne gouvernance de la sécurité privée en République démocratique du Congo.

 

3.Qu’espérez-vous apporter à ICoCA ?

Premièrement, nous pouvons apporter notre contribution dans le cadre de surveillance ou monitoring des actions des entreprises de sécurité privée opérant en République démocratique du Congo dans le souci qu’elles respectent les lois nationales et les droits humains et n’outrepassent pas leur pouvoir. Nous allons également envoyer des rapports des incidents sur les violations des droits humains commis par les entreprises de sécurité privée auprès d’ICoCA.

Deuxièmement, nous allons apporter notre contribution à travers la vulgarisation du Code de Conduite International. Dans une étude que nous avons menée dans la ville de Kinshasa sur la gouvernance de la sécurité privée, il a été constaté rien que deux sur une centaine d’entreprises sont membres d’ICoCA en République démocratique du Congo.

Nous allons aussi continuer à mener des actions de plaidoyer pour que le Gouvernement et les entreprises de sécurité privée fassent leur demande d’adhésion au sein de’ICoCA.

 

4.Pouvez-vous nous parler du paysage de la sécurité privée en RDC, par exemple :

– Quelle est la taille du secteur, notamment en termes de nombre d’entreprises de sécurité privée ?

En République démocratique du Congo, les marchés de la sécurité privée connaissent une forte expansion durant les dernières décennies. Bien que les chiffres d’affaires ne soient pas connus faute des statistiques. L’industrie de la sécurité privée en République démocratique du Congo englobe environ une centaine d’entreprises qui commercialisent des services de surveillance et de protection par des moyens humains, physiques et électroniques. Officiellement, l’autorité de tutelle, ne reconnait qu’environ quatre-vingtaine d’entreprises qui travaillent dans la légalité. Sur terrain, on enregistre aussi des entreprises qui opèrent d’une manière informelle et dans l’illégalité.

Comment le secteur est-il réglementé ?

En RDC, certaines des ESP opèrent depuis 1970 dans un vide juridique total. Plusieurs activités exercées par les ESP ne sont pas réglementées (protection rapprochée, transport des fonds, investigation, intervention, le contrôle à l’accès et à la sortie, service anti-incendie…). L’Arrêté ministériel de 2014 traite de manière lacunaire, de conditions d’ouverture d’un service de gardiennage et ne focalise plus sur les frais à percevoir par l’autorité publique. Il y a aucune disposition sur l’exercice des ESP étrangères en RDC.

La réglementation du secteur de sécurité privée devrait être une préoccupation primordiale d’autant plus en cas d’absence de tout contrôle, mieux d’un contrôle déficitaire, les activités des entreprises de sécurité peuvent facilement contribuer aux abus des droits de l’homme.

Depuis un certain temps, ; des organisations de la société civile (OSC), dont Securitas-Congo, s’intéressent aux activités des ESP en RDC et sont plus particulièrement inquiètes du vide juridique dans lequel ces entreprises (plus d’une centaine) exercent leurs activités. Néanmoins, depuis 2020, les organisations de la société civile ont commencé à mener des actions de plaidoyer pour la réforme du cadre juridique régissant l’industrie de la sécurité privée en République démocratique du Congo.

– Qui sont les clients des entreprises de sécurité privée ?

En République démocratique du Congo, la fourniture de la sécurité privée est assurée principalement par les entreprises congolaises. Il y a peu d’entreprises étrangères. Certaines Entreprise de Sécurité Privée se sont installées depuis près de deux décennies (G4S, KKS, OSS…). Les clients de ces entreprises sont principalement les missions diplomatiques, les stations-services, les supermarchés, la MONUSCO, les carrières minières, les compagnies de télécommunications, les banques, les boites de nuit, les compagnies aériennes…Certains services événementiels et personnes privées recourent ponctuellement aux ESP pour la sécurité lors des événements sportifs, les manifestations publiques, les funéraires, les fêtes de mariage, les collations de grade académiques.

– Quels sont les problèmes de droits de l’homme impliquant des sociétés de sécurité privées que vous voyez ?

Les entreprises de sécurité privée sont de plus en plus présentes dans l’espace public en RDC au point qu’elles interviennent dans l’exercice de certains droits en public. Les agents desdites entreprises contrôlent les sacs et font des fouilles corporelles avant d’autoriser l’accès à certains espaces. Faute pour des citoyens d’y conformer, ils peuvent interdire l’accès à ces espaces.

D’une manière particulière, Les abus de droits humains associés à la sécurité privée en République démocratique du Congo sont les détentions arbitraires, les arrestations arbitraires, les coups et blessures, les violences verbales. Les éléments commis à la garde dans les sites sont parfois confrontés devant les menaces qui peuvent le pousser à se défendre, cette action peut également entrainer le cas de décès, blessures graves ou tout autre abus des droits humains.

 

5.Quelles sont selon-vous les conséquences concrètes sur la vie et le travail des gardiens lorsqu’ils travaillent pour des entreprises de sécurité privées ne respectant pas les normes et les standards ? Quelles sont les différences par rapport à ceux travaillant pour des entreprises de sécurité privées responsables ?

Au regard de la loi congolaise en la matière, les entreprises de sécurité privée sont des entreprises commerciales privées exerçant une activité qui consiste à fournir à des tiers, à titre onéreux de manière permanente ou occasionnelle, sans se substituer aux forces de l’ordre, des services de protections des personnes et de leurs biens.

En République démocratique du Congo, l’article 189 de la loi n° 16/010 du 15 juillet 2016 interdit aux employés de travail de travailler plus de 40 heures par semaine et 8 heures par jour. Cette disposition n’est pas respectée par les entreprises de sécurité privées ; les agents passent parfois 24 heures à 48 heures au service, ne disposant pas parfois d’endroit où s’abriter en cas de pluie. Les conditions de travail des agents restent trop précaires. Dans la plupart des entreprises, le salaire mensuel varie entre 70 dollars et 100 dollars américains en moyenne pour les sociétés nationales ;. 200 dollars à 400 dollars pour les entreprises étrangères. Ce salaire reste parfois modique comparé aux risques encourus, ne leur permet pas de se prendre en charge.

Les associations syndicales pour la défense des causes des agents n’existent que dans certaines entreprises. En cas de maladie, décès ou invalidité, les agents ne bénéficient pas d’un avantage social ou toute autre protection sociale.

Les entreprises de sécurité privée congolaise n’emploient pas de femmes à des postes de gardiens, seulement pour postes administratifs. Certaines d’entre elles affirment respecter les injonctions du ministère de l’intérieur en matière de recrutement. Cette disposition reste très contradictoire par rapport à la constitution de la République dans son article 14.

Le recrutement des anciens policiers ou militaires démobilisés est interdit selon l’arrêté ministériel, privant ainsi ces derniers de la possibilité de trouver un emploi pour leurs réinsertions économiques. Cette mesure reste vraiment discriminatoire, car les anciens policiers ou les démobilisés en perdant leur statut militaire, ils deviennent des civils, pouvant offrir leurs services à toute personne qui le sollicitent.

 

6.En quoi leurs interactions avec les communautés auprès desquelles ils opèrent diffèrent-elles ?

Particulièrement, les interactions avec les communautés sont néanmoins bonnes. Le comportement des agents de service de sécurité privée est acceptable par rapport aux agents de sécurité publique. L’explication reste simple, le secteur de la sécurité privée constitue une agglomération qui compte à son sein plus des personnes lettrées (Diplômé, Gradué, Licencié). Ils sont capables de comprendre, d’écouter, et lire et écrire. Malheureusement, les agents sont souvent poussés à la mendicité due à la modicité salariale, surtout ceux travaillant devant les magasins. En plus, par manque d’un salaire raisonnable, ils courent les risques d’être corrompus ou de se livrer à d’autres pratiques illicites (vol, tracasserie) ternissant ainsi l’image de leur secteur de service.

 

7.Quels sont les défis pour les organisations de la société civile travaillant sur ces questions en RDC, et quel rôle ICoCA pourrait-elle jouer pour aider à les surmonter ?

Premièrement, les organisations des droits de l’homme qui travaillent sur cette thématique sont peu nombreuses et ne sont pas vraiment outillées pour documenter les abus qui sont commis par les agents des entreprises de sécurité privée.  Notre souci serait de voir ICoCA s’engager dans les formations de renforcement de capacité des organisations de la société civile congolaise dans les domaines de surveillance des droits humains et sur gouvernance démocratique du secteur de sécurité.

Deuxièmement, il y a un problème de financement des organisations de la société civile congolaise. Il y a peu de partenaires financiers qui sont disposés à appuyer les actions de la société civile travaillant sur la gouvernance de la sécurité. Nous pensons que si possible si ICoCA peut apporter des soutiens financiers à la mesure de ses moyens pour soutenir des actions de la société civile pour nous permettre de mener des actions de surveillance ou monitoring des droits humains.

 

8.Comment espérez-vous vous engager avec ICoCA ?

Nous allons continuer à travailler en collaboration avec ICoCA pour surveiller des droits humains en République démocratique du Congo dans le domaine de l’industrie de la sécurité privée, nous enverrons régulièrement nos rapports d’activités dans le domaine de la sécurité privée au bureau d’ICoCA.